La Croix : Vous avez été libéré dans la nuit de jeudi 29 au vendredi 30 avril après près de 20 jours de détention aux mains d’un gang local à Haïti, comment allez-vous ?
Père Michel Briand : Permettez-moi de parler au nom de tous les otages : nous allons tous bien physiquement. Nous avons perdu quelques kilos mais chacun retrouve des forces et reprend ses activités. Ce qui me surprend, c’est la joie des gens que nous rencontrons de nous voir en forme.
Comment avez-vous supporté cette captivité ?
P. M. B. : D’abord, ce qui nous a aidés, c’est de ne jamais avoir été séparés. Nous nous épaulions, nous priions ensemble. Le plus dur à vivre, c’était l’incertitude du lendemain. Nous étions coupés de l’extérieur, isolés. Mais, nous ne pensions pas au pire et nos ravisseurs ne nous menaçaient pas directement. Je n’ai pas eu peur pour ma vie.
Les conditions de vie ensemble étaient dures : les quatre premières à la belle étoile, à dormir sur des cartons et des matelas peu épais. Puis, nous avons été transférés dans des habitations abandonnées, au confort précaire. Nous redoutions surtout la durée de la détention.
Lorsque au quatrième ou cinquième jour, on nous a apporté des vêtements, nous avons compris que ça pouvait être long. Les derniers jours ont été les plus rudes car nos ravisseurs voulaient nous faire souffrir en nous donnant de moins en moins à manger. Mais, nous partagions les vivres et cette solidarité nous a permis de maintenir l’espoir.
Les geôliers étaient corrects avec nous. Un jour, nous avons pu parler avec leur chef. J’ai osé lui dire que par les armes, aucune solution n’était possible : elles conduisent à la violence et celle-ci ne conduit à rien. J’ai essayé de lui faire comprendre cet engrenage, prenant l’exemple de Gandhi et de sa lutte non violente. Il a vite coupé court car j’allais peut-être toucher une corde sensible.
Avez-vous parlé de Dieu avec vos ravisseurs ?
P. M. B. : Dans leur conversation, le diable revenait davantage que Jésus. Ils n’avaient pas une connaissance précise des religieux et prêtres. Nous avions en notre possession une bible avec laquelle on priait, on lisait les Psaumes et les Évangiles mais, un jour, un des leurs m’a pris la bible des mains. Pour eux, c’était une arme qui les desservait. Je leur ai dit que nous priions aussi pour eux. Et, au moment de notre libération, l’un des ravisseurs nous a donné une accolade et nous a demandé de prier pour eux.
Comment votre foi vous a-t-elle porté pendant votre captivité ?
P. M. B. : Nous avons prié pour vivre sereinement ensemble et rester confiants. Nous restions unis dans la paix. Une force que nous puisions dans la prière. La présence du Christ qui nous habite nous apportait cette paix. Beaucoup de gens risquent de ne pas comprendre et de me prendre pour un illuminé mais je peux dire que j’ai vécu cette détention comme un temps de retraite : un temps spirituel pour mieux découvrir Dieu.
Que retenez-vous de cette épreuve ?
P. M. B. : Ce qui est tragique, c’est que chaque semaine, il y a des dizaines d’enlèvement dans le pays. Ils se multiplient. Mais comment lutter contre ce phénomène ? Le pouvoir politique a-t-il les moyens de lutter contre le banditisme qui sème la peur et le deuil dans la société ? Après ma libération, j’ai appris la mobilisation, en France notamment, autour de notre enlèvement, c’est beau mais ce qui est le plus important pour moi, c’est de trouver les moyens d’endiguer ce phénomène des enlèvements. La société haïtienne doit se mobiliser et faire que la peur se transforme en révolte.
Malgré la violence omniprésente dans le pays, vous restez fidèle à Haïti, pourquoi ?
P. M. B. : Haïti, c’est ma vie depuis 36 ans, si je pars, je capitule. Ici, j’ai connu de multiples péripéties : le tremblement de terre, on m’a tiré dessus en 2015. Mais je m’en remets à Dieu. Les Haïtiens sont frappés de voir quelqu’un qui pourrait partir rester malgré les difficultés et être solidaire avec eux. Ce témoignage vaut plus que tous les prêches.
Avant d’être ordonné en 1985, j’ai vécu à Haïti en coopération de 1976 à 1979. C’est à ce moment que j’ai décidé de vivre auprès de ce peuple. Je me suis rapproché de la société des prêtres de Saint-Jacques pour donner ma vie à l’Église de Haïti. Je n’ai jamais regretté ce choix, au contraire. J’ai envie de me donner davantage à ce peuple.
Extrait du journal La Croix
Propos recueilli par Arnaud Bevilacqua,