MEDITATION DE Gaston RIGUIDEL, diacre

                            « Présence  de  l’Absent. »

   Il est peut-être osé de faire se rejoindre deux termes aussi opposés que contraires. C’est pourtant ce qui peut, parmi d’autres pistes, étayer notre réflexion  et notre méditation à partir du passage d’évangile proposé en ce sixième Dimanche de Pâques.

  N’oublions pas d’abord le contexte historique où Jean ( que ce soit d’ailleurs le disciple que Jésus aimait ou un autre ) a écrit le quatrième évangile. En ce qui concerne le Christ tout est consommé depuis longtemps: mort, résurrection, ascension ne sont plus déjà qu’un lointain souvenir pour une jeune communauté encore traumatisée par la destruction récente du temple de Jérusalem. A cela s’ajoute une question angoissante: à qui se raccrocher? A ce Christ qui s’est dit fils de Dieu? Est-il vraiment vivant? Deux mille ans plus tard nous, qui venons à peine de nous déconfiner, sommes aussi inquiets et troublés: quand pourrons-nous retrouver une vie normale, nous rassembler, sous quelle forme? C’est que nous sommes impatients de recevoir enfin le corps du Christ et de partager sa Parole. C’est en relisant les Ecritures que les premières communautés chrétiennes ont été rassurées. Alors penchons-nous sur le passage d’évangile du jour. Pour ses disciples, comme pour nous, Jésus se veut rassurant. « Je ne vous laisserai pas orphelins. Mon Père vous donnera un autre défenseur: l’Esprit de vérité! »

  Que c’est quand même réconfortant de croire que Jésus ne nous laisse pas tomber, même en ces moments d’épreuve! L’Esprit de vérité, si nous l’implorons, fera en sorte que l’image de Jésus ressuscité ne s’estompe pas, ne tombe pas dans le flou, ne s’écorne pas. Au contraire! Par la grâce de l’Esprit-Saint, le Christ s’ouvre à nous librement, généreusement, amoureusement. Peu à peu, il se révèle présence intime et joyeuse, pleine de tendresse aimante. Chacun de nous en a fait l’expérience, au moins sur le plan amical: l’amour rend l’autre présent mystérieusement, même quand il n’est pas là physiquement. Ainsi nous prenons conscience petit à petit que c’est par amour que Jésus rejoint chacun de nous pour l’inonder de sa lumineuse présence, rendue véritable par l’action de l’Esprit-Saint.  Plus que jamais nous sommes en train de vivre le « temps de l’Esprit », réalité que nous avons eu tendance à oublier.

   Ayons aussi toujours en tête que l’absent se rend présent dans son Eglise dont nous faisons partie par le baptême. La lecture et le partage de sa Parole dans la prière, la communion à son Corps, la mise en commun de nos dons et nos compétences au service de nos frères sont autant de manifestations de l’existence inouïe de Dieu qui se donne en son fils Jésus. De toutes nos forces, cherchons à aimer nos frères,car c’est ainsi  que nous aimons Jésus. En conséquence il nous  rappelle dans l’évangile de ce jour: « Celui qui m’aime sera aimé  de mon Père; moi aussi je l’aimerai et je me manifesterai à lui! » Belle cascade, en vérité! C’est en quelque sorte le « domino » divin d’un Amour présent et agissant.

  Enfin prenons encore conscience que, plus que jamais, nous avons besoin de la lumière du Christ, dans toutes les réalités de notre contexte actuel. En effet quelle curieuse atmosphère que ce début de déconfinement! Loin de sombrer dans la nostalgie, le défaitisme, voire la révolte, ne serait-il pas temps de revenir aux sources, de réinventer notre manière de prier, de vivre ensemble cette Eglise dont nous avons peut-être été privés  durant ces mois? Ne serait-il pas temps de nous rendre d’avantage présents à un monde vis à vis duquel nous avons peut-être été absents? En tout cas, accrochons-nous pour ce faire à Jésus-Christ, lui qui, souligne Pierre dans la seconde lecture, « a été mis à mort dans la chair, mais vivifié dans l’Esprit. »

  Fortifiés par ce même Esprit, sûrs de la présence amoureuse de Jésus, nous pouvons sereinement regarder le passé, à condition qu’il nous permette d’avoir le recul nécessaire pour envisager l’avenir et nous aider à le construire. Quoi de plus exaltant enfin que de nous joindre au psalmiste qui à sa manière fait « eucharistie » en acclamant le Seigneur d’amour et de bonté, toujours présent au milieu de nous. « Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour! De là, cette joie qu’il me donne… »

 


La Bonne Nouvelle arrive en Samarie

 

Le texte proposé par la liturgie de ce 6ème dimanche de Pâques commence au verset 5 du chapitre 8. Nous pouvons lire partiellement les quelques versets qui se trouvent juste avant, et qui permettent de mieux situer ce passage :

01 (…) Ce jour-là, éclata une violente persécution contre l’Église de Jérusalem. Tous se dispersèrent dans les campagnes de Judée et de Samarie, à l’exception des Apôtres 04 Ceux qui s’étaient dispersés annonçaient la Bonne Nouvelle de la Parole là où ils passaient.

05 C’est ainsi que Philippe, l’un des Sept, arriva dans une ville de Samarie, et là il proclamait le Christ. 06 Les foules, d’un même cœur, s’attachaient à ce que disait Philippe, car elles entendaient parler des signes qu’il accomplissait, ou même les voyaient. 07 Beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits impurs, qui sortaient en poussant de grands cris. Beaucoup de paralysés et de boiteux furent guéris. 08 Et il y eut dans cette ville une grande joie.

14 Les Apôtres, restés à Jérusalem, apprirent que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu. Alors ils y envoyèrent Pierre et Jean. 15 À leur arrivée, ceux-ci prièrent pour ces Samaritains afin qu’ils reçoivent l’Esprit Saint ; 16 en effet, l’Esprit n’était encore descendu sur aucun d’entre eux : ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. 17 Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent l’Esprit Saint.

 

Les effets d’une persécution

Saint Etienne vient de subir le martyre (auquel a participé le futur Saint Paul). Cette flambée de violence déclenche une violente persécution contre l’Eglise de Jérusalem, et les disciples sont obligés de fuir en Judée et en Samarie. Effet tout à fait imprévu : ils répandent l’Evangile partout où ils passent ! Réécoutons la parole de Jésus avant son Ascension (Ac 1, 8) : « Vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. ». C’est très exactement ce qui est en train de se produire : alors qu’ils s’étaient jusque-là limités à Jérusalem, les disciples vont témoigner dans toute la Judée et la Samarie (et Saint Paul, une fois converti, ira jusqu’à Rome, « les extrémités de la terre »). En l’occurrence, un mal tout à fait objectif, la persécution, se transforme en réalisation du projet de Dieu.

Nous avons là une clé de compréhension essentielle des événements difficiles que nous vivons nous-mêmes et dont nous ne saisissons pas toujours le sens. Pourquoi Dieu tolère-t-il le mal – au moins jusqu’à un certain point ? La puissance de son Esprit est telle qu’elle est capable de le transformer en bien… Pendant l’épreuve c’est souvent intolérable à entendre, mais pour le croyant c’est un acte de foi et d’espérance, à la suite de ce que Jésus lui-même a vécu dans sa mort et sa résurrection.

Philippe accueilli en Samarie

Pour des raisons historiques, les Juifs considéraient les Samaritains comme des idolâtres et ils les détestaient cordialement. Ce que les Samaritains leur rendaient bien. A tel point qu’à l’époque de Jésus, les Galiléens se rendant en pèlerinage à Jérusalem préféraient souvent contourner la Samarie et emprunter une route passant à l’Est du Jourdain. Ce ne fut pas toujours le cas pour Jésus :

Lc 9, 51 « Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem. 52 Il envoya, en avant de lui, des messagers ; ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue. 53 Mais on refusa de le recevoir, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. »

 

Aujourd’hui nous voyons Philippe, qui vient de Jérusalem, reçu là où Jésus avait été éconduit ; il annonce la Bonne Nouvelle là où Jésus lui-même n’avait pas pu le faire !

Jn 14, 12 « Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père, 13 et tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. 14 Quand vous me demanderez quelque chose en mon nom, moi, je le ferai. »

Loué sois-tu Seigneur pour les œuvres que tu accomplis, aujourd’hui encore, à la prière de tes disciples.

 

Naître de l’eau et de l’Esprit

 

Jean 3, 05 « Jésus répondit (à Nicodème) : « Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. »

Après le baptême de l’eau, on retrouve ici pour les Samaritains le geste de l’imposition des mains par les Apôtres, déjà rencontré à l’occasion de l’institution des Sept, en vue de la transmission de l’Esprit Saint.

Dans l’Eglise, l’initiation chrétienne complète requiert les trois sacrements du baptême, de la confirmation et de l’eucharistie. Ils sont normalement reçus dans cet ordre, même si aujourd’hui en France, pour les enfants, les deux derniers ont été inversés pour des raisons pastorales.

Les chrétiens adultes de notre entourage – et peut-être nous-mêmes – avons-nous tous bien reçu la plénitude de l’initiation ? Ne pourrait-il y avoir à l’occasion quelques suggestions à faire avec délicatesse à ce sujet ?